Le musée national de l’histoire de l’immigration, intégré au sein du palais de la Porte Dorée à Paris (12ème), nous donne à comprendre que, depuis la préhistoire, l’homme est un émigré, un immigré, un réfugié, seul ou en famille ou en communauté.
Aujourd’hui en France, l’étranger est celui qui ne possède pas la nationalité française ; il peut être un immigré légal, un immigré illégal, un bénéficiaire de l’asile politique, un apatride ; tous bénéficient d’une protection sociale plus au moins étendue selon leur statut.
Par le biais du brassage de populations et de la diffusion de sa langue, la France est un pays dont les hommes et les femmes se sont mélangées au fil du temps, pour des raisons soit de guerres (flux migratoires qu’elles entraînaient) soit de développement économique (colonies de peuplement, parfois même à partir de populations pénitentiaires, dans les nouveaux territoires).
Les années 1700
La France a toujours été depuis l’Ancien Régime un pays d’immigration (terre de prospérité), d’émigration (exploitation de nouveaux territoires), d’asile (guerres de religion).
Face aux flux migratoires, la royauté a réglementé les conditions d’accueil, de séjour, d’acquisition de la nationalité française des étrangers, immigrés ou bénéficiaires du droit d’asile, selon la variabilité de la situation économique sociale et politique du pays mais aussi des relations internationales.
A la Révolution française, de nombreux monarchistes émigrent. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen instaure la citoyenneté politique. Les étrangers bénéficient de la liberté d’expression et de réunion mais sont exclus du droit de vote. La nationalité française et les emplois publics leur sont accessibles.
En 1791, la révolution des esclaves à Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti) provoque la migration des colons (parfois avec leurs esclaves) et des « libres de couleurs » vers les Caraïbes et l’Amérique du nord.
La colonisation tient dans l’Histoire de France une place particulière mais majeure pendant trois siècles, avec notamment l’esclavage érigé en système économique, avec son corollaire la décolonisation lorsqu’elle adviendra.
Les années 1800
Face à l’afflux de réfugiés consécutifs au soulèvement polonais contre l’occupant russe et à la répression organisée par le tsar Nicolas 1er, la Monarchie de Juillet (1830-1848) a été le premier régime à avoir créé un statut de réfugié avec, en contrepartie, la création d’une surveillance administrative des étrangers, par exemple rendant obligatoire leur détention d’un passeport pour l’intérieur.
La conquête de l’Algérie à partir de 1830 a été violente et sa colonisation difficile ; après la chute de la Monarchie de Juillet, la seconde République tente une nouvelle colonisation en y déportant des populations pénitentiaires, en vain.
En 1851, les étrangers représenteront 1% de la population.
Dans les années 1880, l’économie française recourt à la main d’oeuvre étrangère (européenne, africaine, asiatique) pour faire face à deux pénuries :
– dans les colonies, consécutive à l’abolition définitive de l’esclavage en 1848.
– en métropole, pour couvrir les nombreux besoins : bassins industriels houillers et textiles dans le nord, aménagement de la ville de Paris par le baron Haussmann, construction du réseau de la compagnie des chemins de fer du midi.
Cela fait de la France le plus grand pays d’immigration en Europe à la fin du siècle. Justement, parce que deux générations d’étrangers se sont déjà sédentarisées et intégrées grâce au syndicalisme et à l’école républicaine, la loi du 26 juin 1889 instaure le double droit du sol : l’enfant né en France d’un parent étranger et d’un parent lui-même né en France est français de plein droit à sa naissance.
Mais cette dynamique d’accueil et d’intégration se heurte aux idées xénophobes racistes et antisémites qui se répandent dans la société française d’autant plus vite qu’elles trouvent en la crise économique une caisse de résonance. Des caricatures moquent les différentes nationalités étrangères. Tant chez les colons que chez les ouvriers en métropole, l’hostilité naît du sentiment que les travailleurs immigrés peuvent les supplanter. Le monde ouvrier s’enfièvre dans de violentes émeutes anti-belges comme celles de Lens en 1892, l’assassinat du président Sadi Carnot par un anarchiste italien renforcera la défiance à l’égard des immigrés en particulier italiens, l’affaire Dreyfus éclate en 1894.
Les années 1900
1914
Lors de la première guerre mondiale en 1914, l’Etat français oblige les ressortissants de pays ennemis à quitter la France sous 48 heures, à peine d’internement tandis qu’arrivent les premiers réfugiés belges. Outre 43000 étrangers venus s’engager pour la France, un demi-million de soldats sont mobilisés dans les colonies pour combattre ; par ailleurs un autre demi-million de travailleurs coloniaux (Sénégal…) et étrangers (Chine…) viennent soutenir l’économie.
Après guerre le patronat, via la Société générale d’immigration, continue de recruter des travailleurs immigrés (polonais, italiens) dans les domaines de l’industrie, de l’agriculture et des mines afin de combler l’hécatombe des français au combat (1,4 millions).
En 1922, la Société des Nations crée un certificat d’identité et de voyage au bénéfice des réfugiés et apatrides (réfugiés russes et arméniens à l’époque), leur offrant ainsi un état civil officiel. L’Etat français a créé pour sa part la carte d’identité d’étranger qui vaut également carte de séjour et carte de travail.
En 1927, la législation sur la nationalité française évolue : la condition de domiciliation en France pour une naturalisation passe de dix à trois ans, le degré d’assimilation est vérifié, les françaises épousant un étranger conservent leur nationalité d’origine.
1931
Dans l’entre-deux-guerres, la prospérité de l’empire colonial français, qui ne tient pas qu’à la seule exploitation de ses ressources, permet de recruter des milliers de travailleurs étrangers pour la construction des différents pavillons de l’exposition coloniale internationale de 1931. La population française vit mal cette concurrence étrangère outre que la politique coloniale est de plus en plus politiquement contestée.
7 % de la population française est alors d’origine étrangère (plus particulièrement italienne et polonaise).
En 1931, la crise économique entraîne une montée importante du chômage ; la protection de la main d’oeuvre française devient une priorité et s’opère par une limitation dans l’accès au travail pour les étrangers avec interdiction de certains emplois ; ceux qui perdent leur emploi perdent également leur droit au séjour et sont donc tenus de repartir dans leur pays, sauf à se maintenir dans l’illégalité.
En 1936, la coalition du Front Populaire accède au gouvernement après être parvenu à unir travailleurs français coloniaux et étrangers au sein d’un même mouvement politique. Edouard Daladier (parti radical socialiste) succède à Léon Blum (parti socialiste) et prendra en 1938 des mesures de contrôle et de surveillance des étrangers (durcissement des conditions d’entrée et de séjour en France ainsi que des sanctions en cas d’infractions).
Mais la guerre civile espagnole, avec la victoire de Franco sur les républicains en janvier 1939, entraîne la « Retirada », qui conduit la France à accueillir plus de 475 000 réfugiés, civils militaires, en trois semaines. En outre, les premières persécutions du IIIème Reich en Allemagne génèrent leurs flots de réfugiés en France. Les ligues nationalistes prospèrent sur la dénonciation des étrangers, y compris ceux qui ont été naturalisés, laissant s’exprimer leur antisémitisme et leur xénophobie.
1939
En septembre 1939, la mobilisation générale inclut les soldats coloniaux, les bénéficiaires du droit d’asile, les apatrides et les étrangers (ceux de ces derniers qui refusent sont internés par précaution).
L’effondrement de l’armée française entraîne la chute de la République et l’avènement du régime de Vichy et sa collaboration avec l’occupant nazi ; démobilisés, des étrangers entreront dans la Résistance (groupe Manouchian). Les réfugiés allemands et autrichiens, qui étaient accueillis dans des centres d’hébergement, sont désormais internés ; les droits des français naturalisés sont menacés, la partition entre juifs et non-juifs est institutionnalisée, les rafles et les déportations sont systématisées.
Il faudra attendre la Libération en 1944 pour que le nouvel Etat français rétablisse la légalité républicaine et procède à de nombreuses réformes. Par exemple, afin de contrôler le recrutement de la main d’oeuvre étrangère indispensable à la reconstruction du pays, il réforme les conditions d’entrée et de séjour des étrangers ainsi que les conditions d’accès à la nationalité française.
1950/1960
A la charnière des années 1950/1960, au cours des « Trente glorieuses », alors que des centaines de milliers d’appelés du contingent sont mobilisés en Algérie, l’appel à des travailleurs étrangers est un impératif pour l’économie française : alors, bien au-delà de l’immigration spontanée d’italiens et d’algériens, l’Etat passe des accords avec plusieurs pays (Maroc, Yougoslavie, Portugal) afin d’y recruter la main d’oeuvre nécessaire à son développement.
La population étrangère vivant en France passe à 3,4 millions d’individus, également alimentée par l’arrivée tant de réfugiés fuyant les dictatures notamment communistes, que les rapatriés des pays ayant accédé à leur indépendance (Vietnam, Algérie, Comores, Egypte…) ; parmi ces étrangers, tous n’opteront pas pour la nationalité française, mais tous connaîtront des conditions d’accueil, d’hébergement et d’accès au travail extrêmement précaires et se heurteront à la méfiance de la société française à leur égard, annonciatrices de mobilisations à venir.
Pour autant la culture sera pour certains, en particulier pour les chanteurs, un outil d’existence et d’intégration.
1970
Au cours des années 1970, la France ratifie en 1971 la Convention internationale de 1965 contre les discriminations raciales, tandis que la loi du 1er juillet 1972 crée un délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciales. L’Etat tentera de maîtriser les flux migratoires, en particulier l’immigration de travail à compter du choc pétrolier de 1973.
Jusqu’en 1981, les conditions des politiques tant d’accueil et de travail que de retour au pays ou d’expulsion se durcissent ; des mouvements de défense des droits des travailleurs immigrés (associations, église, élus et syndicats de gauche) convergent pour dénoncer les crimes racistes et les conditions d’hébergement, ainsi que revendiquer des droits sociaux plus égalitaires.
En parallèle, la France accueille de nombreux réfugiés politiques (opposants aux dictatures d’Amérique du sud telles que celles du Chili de l’Argentine et du Brésil, et du sud-est asiatique telles que le Vietnam le Cambodge et le Laos). Cette politique d’asile politique permet à la France de recouvrer quelque peu son image de pays des droits de l’homme que ses guerres de décolonisation ainsi que sa politique migratoire restrictive avaient clairement abîmée.
1980
Les années 1980 sont celles d’un mouvement inverse. Certes, élu président de la République en 1981, François Mitterrand régularise 135000 « sans-papiers », accorde aux étrangers le droit d’association, suspend les expulsions en cours et déconstruit les réglementations des années précédentes, autorise les radios libres dont certaines sont animées par des immigrés (radio Beur…), crée la carte de séjour valable 10 ans ; la Marche pour l’égalité et contre le racisme porte le débat sur l’immigration sur la place publique.
Mais 1983, c’est aussi l’année des premières victoires du Front national sur fond de tensions dans les banlieues ; le « tournant de la rigueur » conduit à un durcissement en matière de droit d’asile et d’accueil des immigrés (conditions d’entrée et de séjour, reprise des expulsions, rétention administrative). Les ouvriers musulmans portent leur revendications religieuses (droit de prier, droit du port du voile) ; le Conseil d’Etat interdira en 1989 tout port prosélyte de tous signes religieux en milieu scolaire au nom de la laïcité.
1990
Les années 1990 et 2000 sont celles de la mise en place de l’espace Schengen (libre circulation « intérieure » des européens, contrôle accru de ses frontières extérieures, différenciation entre européens et non-européens), du durcissement en Europe des conditions d’accueil de séjour et d’asile (le taux d’admission par l’OFPRA passe de 90 à 15 % des demandes), de l’accès du Front national au second tour des élections présidentielles (2002), de la création de Frontex (2004), des émeutes dans les banlieues notamment de Clichy-sous-bois (2005).
Dans les grandes villes, les immigrés se réunissent par communautés afin de se retrouver entre compatriotes ; apparaissent ainsi des quartiers chinois, maghrébins, turcs, qui permettent néanmoins un certain enracinement dans la société française même si les liens avec la famille, la communauté et le pays natal ne sont pas rompus.
Les étrangers vivant en France en 2022 représentent 10,3 % de la population.
A ce jour
A ce jour, l’Histoire montre que la France est un pays de diversité du fait des différentes origines et cultures de sa population, et parce que chaque étranger qui y a vécu depuis des siècles y a contribué avec ses propres apports.
Les évolutions de la société par temps de crise démontre la fragilité du « vivre ensemble » lorsqu’il n’y a pas de respect de ses valeurs fondamentales. Le musée national de l’histoire de l’immigration nous rappelle ce qui en fait le ciment pour un avenir ouvert sur l’autre et construit avec l’autre.
Sources :
Pour en savoir plus que ce qui ressort de mon très bref passage =>
– le musée national de l’histoire de l’immigration avec son aimable autorisation.
– autres accessibles par les liens hypertexte.
– recherches personnelles.