Découverte du Palais de la Porte Dorée, situé dans le 12ème arrondissement de Paris : deux heures pour un bâtiment et ses expositions qui demanderaient deux jours.
Les empires coloniaux français britannique et belge sont à leur apogée dans l’entre-deux-guerres, d’autant plus que l’Allemagne leur a abandonné ses propres colonies en vertu du traité de Versailles de 1918 ; ainsi le Cameroun et une partie du Togo ont été attribués à la France. En 1931, les colonies françaises représentaient 60 millions d’habitants.
L’Etat français a toujours plaidé la mission civilisatrice de la colonisation, par exemple en invoquant l’accès à l’éducation (langue et savoirs), à la médecine (humaine et vétérinaire), aux voies de communication (routes et voies ferrées).
C’est l’architecte Albert Laprade qui a été sélectionné pour construire à Paris le Palais de la Porte Dorée afin d’accueillir le musée des Colonies dans le cadre de l’exposition coloniale internationale, inaugurée le 6 mai 1931. Le projet était destiné à promouvoir les apports réciproques de la France et de ses colonies. De tous les bâtiments construits à cette occasion, ce palais était le seul à perdurer au-delà de l’exposition afin de promouvoir le concept du «bon sauvage» et les «arts indigènes», et ainsi justifier la politique impérialiste de l’Etat.
Déjà dénoncée à l’époque même de cette exposition par divers milieux politiques, syndicalistes et artistiques, la face sombre de la colonisation française est aujourd’hui largement documentée. Comme en témoignent par exemple les travaux de l’historien Philippe Le Failler ; celui-ci explique comment Paul Doumer, gouverneur de l’Indochine en 1897 (et futur président de la République en 1931), a créé en 1899, avec l’aval du ministère des colonies, la Régie générale de l’opium, institutionnalisant ainsi un système mis en place au tout début des années 1880 ; outre dans les colonies, il existait alors à Paris quelques 300 fumeries d’opium (in « Paris opium », Eric Walbecq, édition « L’échappée ») ; la commercialisation dans la colonie de « l’or noir » venant de Chine permettait à l’Etat d’en tirer des taxes fiscales nécessaires au financement de son Empire. En témoigne également le documentaire de Catherine Bernstein consacré à la construction de la ligne de chemin de fer Congo-Océan de 1921 à 1934 qui démontre jusqu’à quel point la main d’oeuvre locale, et immigrée, était exploitée.
Aujourd’hui le Palais de la Porte Dorée accueille le musée national de l’histoire de l’immigration. Il nous conduit au devoir de mémoire à l’égard de l’homme aussi bien immigré que colonisé, les deux étant intimement liés lorsque le premier peut être le descendant du second ; et peut-être même aux prémices de la «mondialisation».
A/C L’Art déco
Précédé par le mouvement Bauhaus (mouvement allemand d’architecture et d’arts décoratifs) et par les arts appliqués, l’Art déco (abréviation d’arts décoratifs) est un mouvement d’arts graphiques à portée mondiale dans les années 1920 à 1940 ; il tire son nom de l’exposition des arts décoratifs de 1925 à Paris. C’est un style majeur qui essaimera en France et dans le monde entier, y compris dans les édifices religieux, jusqu’aux plus modestes (par exemple l’église Sainte-Agnès à Maisons-Alfort).
Il touche à tous les métiers d’art (architecture extérieure, architecture intérieure, mobilier, ustensiles, décorations en tous genres).
Ce style se caractérise par une certaine austérité tenant à sa rigueur géométrique, à la symétrie de ses espaces et à la discrétion de ses ornements. Il opte pour le béton armé, la pierre de taille, les bois exotiques, le fer forgé et utilise des matériaux issus de l’industrie du luxe (laque, dorure, ivoire…).
B/C Les extérieurs
Deux années ont été nécessaires à Alfred Janniot, assisté de Gabriel Forestier et Charles Barberis, pour sculpter en façade la gigantesque fresque en pierre (13 mètres de haut sur 90 mètres de long) illustrant par des saynètes les contributions des colonies africaines et asiatiques à l’économie française.
Au-dessus de la porte centrale elle présente l’abondance, sous la forme d’une femme adossée à un taureau tout en muscles symbolisant la force et la richesse. De part et d’autre, un olivier et un chêne sont sculptés représentant respectivement la paix et la liberté ; en-dessous figurent Cérès et Pomone, déesses romaines des fruits et de la fertilité, ainsi qu’Apollon, dieu grec de la beauté.
A gauche et à droite de la porte sont évoqués les ports de Bordeaux et de Marseille.
L’ensemble de ces sculptures montre des personnages asiatiques (vêtus de pagnes) et africains (torse nu) représentés soit au travail (dans la production de leurs richesses agricoles) soit dans leur vie quotidienne (chasse, pêche).
La pierre du Poitou utilisée étant une pierre claire, l’identification ethnographique s’opère par les visages (traits, chevelure, couvre-chef) et les outils. La faune et la flore sont représentées de façon naturaliste dans le plus pur style Art déco afin de reporter l’environnement de chaque colonie.
Tout contribue à créer une impression de paix dans le rapport de l’homme à la nature, d’assurance d’abondance des ressources et de prospérité dans les rapports entre la France et ses colonies.
C/C Les intérieurs
1/7 Le hall d’honneur :
Immersion immédiate dans l’Art déco avec le sol, les lampadaires et la ferronnerie ; on aperçoit au fond le salon Afrique.
2/7 Le salon Afrique :
Jacques-Emile Ruhlmann en est l’auteur décorateur ; il l’a ainsi nommé pour la fresque qui le décore, et par opposition au salon Asie qui se situe à l’autre extrémité du bâtiment.
De forme ovoïde, dépourvu d’éclairage artificiel, il accueille différents mobiliers, notamment =>
– quatre fauteuils éléphants (qui veulent évoquer de «pacifiques pachydermes accroupis ») conçus par Jacques-Emile Ruhlmann.
– deux grands «vases éclairants» (laiton repoussé et fer sur socle en ébène), conçus par Raymond Subes.
Louis Bouquet est l’auteur de la fresque.
3/7 La salle des fêtes, dite aussi « le forum » :
Elle est remarquable par son pavement, sa fresque et son plafond. Elle était destinée à recevoir conférences et festivités.
Son pavement se distingue par ses motifs en mosaïque.
La fresque a été réalisée par Pierre Henri Étienne Ducos de la Haille et sept de ses élèves. Son panneau central présente la France, drapée de rouge et de blanc, entourée de l’éden que constituent ses colonies, au sein des cinq continents du monde à qui elle offre la colombe de la paix.
Par l’entremise de figures allégoriques, huit tableaux présentent les apports de la France aux colonies : l’art, la paix, le travail, le commerce, l’industrie, la liberté, la justice et la science.
Son plafond à structure pyramidale se veut être une sorte de couronnement de l’ensemble. De l’extérieur, cette pyramide ne s’appréhende guère du fait de sa faible dimension par rapport à l’ensemble et à la hauteur du bâtiment.
4/7 Les escaliers :
Ils courent sur toute la hauteur des trois étages ; leur rampe mesure 70 mètres linéaires. Les deux escaliers centraux intègrent des motifs de rinceaux, certains évoquant des feuilles de palmiers.
5/7 Le salon des laques :
Il est consacré aux laques de Jean Dunand, et meublé du mobilier de l’ancien musée des Colonies mis à la libre disposition des visiteurs.
Dix grands panneaux de laque sont répartis dans deux espaces, chacun étant dédié à deux techniques de laquage différentes. Dans les deux cas il s’agit pratiquement d’un travail de sculpture, aboutissant à des rendus de lumière, d’arrière-plan et de matière très différents :
– la laque «défoncée» dite de « Coromandel » (technique du nom de la côte du golfe du Bengale d’où les bateaux de la Compagnie des Indes Orientales repartaient importer des produits asiatiques en Europe ou en France, par exemple à destination du port de Nantes dont les armateurs avaient du se réorienter après l’effondrement de leur commerce avec les colonies antillaises) : plusieurs couches de laque sont appliquées jusqu’à atteindre la noirceur puis, une fois sèches, subissent des incisions plus ou moins profondes qui reçoivent, ou non, des touches de peintures argent ou rouge, avec parfois des incrustations de petites plaques de laiton ou d’ivoire.
– la laque «arrachée» (technique créée par Jean Dunand) : aussitôt déposées sur des feuilles d’aluminium, les couches de laque mélangées à de l’oxyde de fer et de l’argile sont travaillées à la spatule afin de créer une tonalité et un effet de relief ; plus le raclage de la laque se fait en profondeur plus la laque s’éclaircit tendant vers l’argenté, moins le raclage arrache de matière plus celle-ci reste sombre.
Le premier espace concerne la technique de la laque arrachée et présente les éléphants, les peuples d’Asie (Indochine), les peuples d’Afrique (Sénégal), des antilopes qui s’affrontent, un tigre à l’affût.
Le second espace accueille le tableau « la forêt » (3 mètres x 3,3 mètres) réalisé avec la technique plus académique de la laque défoncée.
Les deux espaces sont meublés de l’ancien mobilier du Musée des Colonies destiné à l’accueil du public. Il est réalisé en noyer d’Afrique pour l’ossature ainsi qu’en bois de palissandre de Madagascar pour son placage, réputé pour sa couleur rouge foncé et son veinage.
6/7 Les ferronneries :
Les ferronneries à claire-voie de Raymond Subes accueillent le visiteur dès son entrée dans le hall d’accueil. Elles sont ici photographiées du côté opposant.
7/7 L’éclairage :
Le palais est un parallélépipède rectangle dont le toit accueille 21 puits de lumière naturelle cheminant au-dessus des galeries d’exposition.

La majorité des espaces du bâtiment bénéficie également d’une lumière artificielle complémentaire apportée par divers lampadaires et lustres, notamment caractérisés par des cônes inversés afin de privilégier un éclairage indirect (lampadaires de Raymond Subes, lustres de l’entresol).
Diverses appliques et lampes s’égrènent au fil des espaces.
Sources
– le palais de la Porte Dorée : https://monument.palais-portedoree.fr/les-decors/un-palais-art-deco
– autres mentionnées dans le texte par des liens hypertextes.
– recherches personnelles.