Le château de Villers-Cotterêts (département de l’Aisne – France) accueille la cité internationale de la langue française.
Le château de Villers-Cotterêts
Réputée pour la richesse de son gibier, la forêt picarde de Retz (département de l’Aisne) accueille les chasses des rois de France depuis Dagobert 1er (632). Villers-Cotterêts n’est alors qu’un simple village du duché de Valois lorsqu’un relais de chasse y est édifié au 12ème siècle.
Au 16ème siècle, François 1er confie à l’architecte Philibert Delorme la transformation de ce logis en palais royal dans un style Renaissance, comme en témoignent ses plafonds à caisson de la même manière ; sa chapelle abandonne le style gothique traditionnel au profit des symboles de la royauté (salamandre et fleurs de lys).
François 1er en fera un lieu de fêtes au point qu’il le surnommera « Mon Plaisir », il le dotera même d’un jeu de paume. Mais il en fait également un lieu de gouvernance le temps de son séjour.
Il y signe notamment ses célèbres « Ordonnances Royault Sur le faict de la Justice et abbreviation des proces par tout le Royaulme de France » (sic) du 25 août 1539. Elles clarifient et simplifient le droit, imposent la rédaction des actes administratifs et judiciaires. Surtout elles remplacent le latin, langue de l’Eglise, par le « françoys », et font aux services de l’Etat, aux ecclésiastiques et aux notaires obligation de l’utiliser. Cet ensemble législatif, le plus ancien encore en vigueur, entraîne deux effets majeurs : son impression et sa diffusion à grande échelle contribuera à implanter et diffuser la langue française, tandis que son caractère impératif donne naissance à une organisation de l’état civil avec des actes écrits et rédigés en français par l’Eglise, à la plus grande satisfaction des généalogistes.
Louis XIV donnera le château à son frère, Philippe d’Orléans, lequel et ses descendants s’emploieront à l’embellir au fil des siècles jusqu’à ce qu’il soit saisi en 1790 comme bien national à la Révolution.
Sous Napoléon 1er, il sera en 1808 transformé en « dépôt de mendicité » pour les indigents du département de la Seine ; le faste d’antan disparaîtra avec les travaux d’aménagement (réfectoire, infirmerie, dortoirs…), des murs seront abattus afin d’agrandir les espaces, la chapelle sera reconvertie en dortoir pour femmes infirmes.
A la fin du 19ème siècle, il sera reconverti en 1889 en maison de retraite, puis en EHPAD de la ville de Paris jusqu’en 2014, date de son abandon définitif en raison de son état de délaissement.
La cité internationale de la langue française
A la demande du président de la République Emmanuel Macron, le château de Villers-Cotterêts a été restauré en 2019 sous le pilotage du Centre des monuments nationaux afin d’accueillir la cité internationale de la langue française, laquelle a ouvert ses portes le 30 octobre 2023. Ses aménagements intérieurs sont dédiés à l’espace d’exposition ainsi qu’aux ateliers, hormis la chapelle Renaissance dont le dénuement valorise son magnifique autel.
L’objectif du projet est de « révéler la langue française comme source de créativité et d’échanges, d’épanouissement intellectuel et esthétique, de plaisir et comme un levier d’insertion sociale, économique et citoyenne ».
Tout un parcours pédagogique et ludique permet de découvrir l’histoire et la dynamique de la langue française. Exemples. Des ateliers permettent aux adultes et enfants de tester leurs savoirs, de remonter aux sources des mots afin de mieux réfléchir au devenir de la langue. Une bibliothèque sonore de chansons nous fait remonter le passé. Un bibliothécaire 5.0 vous recommande un ouvrage francophone selon vos propres critères. Une remarquable vidéo demande à des personnes de nationalité étrangère d’expliquer le mot français qu’elles préfèrent, car si le français s’est enrichi de mots étrangers, certains des siens ont conquis, par les valeurs qu’ils portent, les esprits d’ailleurs.
la langue entre évolutions et résistances
Au moyen-âge, on parle des langues dites vernaculaires (du latin vernaculus « de la maison ») quand bien même le latin demeure la langue de l’Eglise et du savoir. Leur intérêt pouvait toutefois être reconnu si elles remplissaient ces trois conditions : être suffisamment riche pour pouvoir tout traduire (la référence par excellence étant la traduction de la Bible), être utilisée par les écrivains (par exemple Joachim du Bellay ou Pierre de Ronsard qui ont marqué ce territoire et cette époque), être utile au point d’être imprimée. L’imprimerie s’était considérablement modernisée grâce aux inventions de Gutenberg, celui-ci ayant inventé les caractères mobiles en métal ainsi que la presse à bras, facilitées à une époque où le papier avait remplacé le parchemin.
Sous l’Ancien Régime, le français est déjà le langage de la Cour et de l’administration. Pour autant, même si elle le comprend peu à peu, la grande majorité de la population continue de parler son patois (par exemple le Gallo dans la moitié est de la Bretagne, ou le mahorais à Mayotte). Mais au fil du temps, grâce aux colporteurs, marchands ambulants et autres conteurs, les livres, les chansons et les comptines le répandent dans le royaume.
La consécration du français comme langue officielle se fera avec la création en 1635 de l’Académie française par Louis XIII, à l’initiative de Richelieu. Ses 40 membres doivent oeuvrer à le rendre « illustre, pur et éloquent » dans les domaines des arts et des sciences. Parce que la langue française ne peut être qu’immortelle, ses académiciens le sont également ; l’épée qu’ils portent signe leur appartenance à la Maison du roi qui fait du français la langue d’Etat.
La Révolution, la Restauration monarchique, la Convention nationale vont poursuivre l’effort de vulgarisation du français au travers de leurs productions législatives, même si parfois elles s’emploieront à les traduire en dialectes locaux afin de faciliter leur compréhension dans les provinces.
Au 18ème siècle, les idées des « Lumières » se répandent en Europe, le français devient, au-delà des lieux de pouvoir, la langue de prestige adoptée dans les discussions de salons. Son vocabulaire s’enrichit en s’étendant à l’artisanat de luxe, aux arts décoratifs, à la mode, à l’art de la table et à la gastronomie, jusqu’à décrire un savoir-vivre à la française ; des travaux archéologiques au Canada, découvert par Jacques Cartier, ont ainsi mis au jour des couverts de table français ; et c’est bien le français qui donne son nom aux figures académiques de danse, d’escrime et d’équitation, mais aussi à la galanterie, au libertinage et à l’amour comme en témoignent les tapisseries et les étoffes de l’époque en toile de Jouy.
La langue françaises continue de prospérer au-delà de l’Europe, même si elle entre en concurrence avec l’anglais, l’espagnol, le portugais et l’arabe en tant que « langue monde ». Les explorateurs la diffuse au gré de leurs voyages. Mais ce sont surtout les conquêtes coloniales qui ont porté le français dans le monde entier, et plus particulièrement en Afrique et en Orient au travers les administrations et les écoles que la France implante dans ses colonies et comptoirs.
Les lois scolaires de 1881 et 1882 de Jules Ferry viennent renforcer l’instruction publique au sein de laquelle la maîtrise orale et écrite du français doit être le tronc commun de tous les écoliers afin qu’ils acquièrent les connaissances nécessaires à devenir des hommes libres et cultivés.
Le paradoxe de l’histoire. La langue française s’enrichissait de mots étrangers : allemands, arabes, italiens, mais également bretons picard et occitans, même s’ils ont changé de prononciation et d’orthographe ; ainsi le mot mayonnaise vient de l’espagnol tandis que le mot goéland vient du breton (parler de la moitié ouest de la Bretagne). Mais parler à l’école dans son patois était puni par des châtiments corporels (Pierre Jaquez Hélias in « Le cheval d’orgueil ») ou par le port de pendentifs humiliants.
L’idéal poursuivi était de promouvoir le français comme outil universel d’émancipation et de libération des peuples par le savoir. Ainsi Abdou Diouf, ancien président de la République du Sénégal (1981-2000), écrivait « la langue française n’appartient pas aux seuls français, elle appartient à toutes celles et à tous ceux qui ont choisi de l’apprendre, de l’utiliser, de la féconder aux accents de leurs cultures, de leurs imaginaires, de leurs talents ».
Toutefois la langue française est souvent vécue par ces populations comme un instrument de domination. Ainsi Kateb Yacine (écrivain algérien 1929-1989) rappelait « j’écris en français pour dire aux français que je ne suis pas français ».
Alors que la langue française est la langue de la République française, deux remarques peuvent être faites :
– 72 langues régionales sont reconnues, et pour certaines transmises par l’enseignement car les français restent attachés à leur patrimoine culturel régional (langue, costumes, coutumes…). Dans les théâtres de marionnettes du 19ème, Guignol a remplacé les Polichinelle et Arlequin de la Commedia dell’arte et parle l’argot des canuts de Lyon.
– les juges de la Cour de Justice Européenne débattent généralement entre eux en français, mais la juridiction est tenue au multilinguisme : elle rend ses décisions dans la langue de l’affaire concernée mais les publie dans la langue des autres pays membres.
C’est en 1992 que l’Etat inscrit la langue française dans la Constitution de la Vème république comme symbole de la construction et de l’unité de la nation, de son identité culturelle et de l’égalité de ses citoyens.
Le terme de francophonie est apparu dès 1880, témoignant de ce trait d’union qu’est le français partagé par la France et les pays anciennement colonisés. Aujourd’hui dans le monde, ce sont 320 millions de personnes qui le parlent ; cette communauté linguistique se situe plus particulièrement en Afrique ; elle se trouve désormais représentée par l’Organisation internationale de la francophonie.
la langue entre norme et usage
Qui dit langue dit règles, car il faut se mettre d’accord sur la façon de se comprendre pour pouvoir échanger. Pour autant, elles ne peuvent empêcher les évolutions tant de la grammaire que du vocabulaire ; car après tout, le français est lui-même issu du latin, avec des emprunts au grec ainsi qu’aux langues celtiques et germaniques. Il reste ainsi fondamentalement une langue métissée, vivante et dynamique, dont la norme peut évoluer selon l’usage d’autant qu’il s’est lui-même imprégné des mots venus d’ailleurs au gré des conquêtes et des échanges internationaux.
Qui dit langue dit bibliothèque, car au-delà du parler, elle est également écrite sous forme de romans, d’essais, de poèmes, de pièces de théâtre, et de bandes dessinées, sur supports tant matériels que dématérialisés. Mais elle nécessite en tout état de cause un dictionnaire afin de fixer l’orthographe, la grammaire et la prononciation à un moment donné. Et c’est celui-ci qui va témoigner de l’état de la langue au fil du temps.
Lorsque les mots viennent à manquer pour nommer une réalité nouvelle (invention technologique, découverte scientifique, pratique culturelle, évolution sociale…), le français peut soit créer un nouveau mot à partir d’un terme existant soit emprunter à un autre langue, donnant ainsi naissance à un néologisme.
Les noms communs français ont un genre, masculin ou féminin, et ne sont jamais neutres ; seuls quelques mots épicènes prennent la forme des deux genres ; si le masculin générique pour désigner les deux (par exemple linguiste), prédomine depuis le 17ème siècle, cette règle est aujourd’hui parfois remise en cause.
Qu’adviendra-t-il demain de tout cela ? Allez visiter la cité internationale de la langue française, vous aurez un début de réponse par les clés de compréhension qu’elle vous livre. Et peut-être verrons-nous un jour changer l’orthographe de la cité et du musée…
Sources
– Cité internationale de la langue française, avec son aimable autorisation : https://www.cite-langue-francaise.fr/
– Ministère de la culture : https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Repertoire-des-ressources-documentaires/Monuments-nationaux/Chateau-de-Villers-Cotterets
– Institut National de l’Audiovisuel : https://www.ina.fr/
– Cour de justice européenne : https://curia.europa.eu/jcms/jcms/Jo1_6308/
– Organisation internationale de la francophonie : https://www.francophonie.org/
– autres accessibles par les liens hypertextes.
– recherches personnelles.