Le sanctuaire carolingien de Cravant les Coteaux

 

 

Un petit peu d’histoire avant d’aborder le sanctuaire carolingien de Cravant les Coteaux.

Après les invasions barbares (francs, goths, huns, burgondes, alamans, vandales…) dans les années 400 et la chute de l’empire romain en 476, les seigneuries s’affirment aux IVème et Vème siècles par leurs ambitions territoriales et parfois leurs accords de coalition face au pouvoir des rois francs. Ces derniers prospèrent néanmoins sur les restes du vaste empire romain qu’ils parviennent à conquérir et contrôler, jusqu’à ce que Clovis, premier roi parmi les germains, finisse par les fédérer sous son autorité. Converti au christianisme, celui-ci devient le premier roi chrétien du royaume franc ; sous sa protection, l’Eglise va progressivement asseoir son autorité et son pouvoir, notamment sur ce territoire qui deviendra la France, en assurant l’administration, l’éducation, la médecine, mais également la justice (le noir de la toge provient du noir de la soutane tandis que le rouge est la couleur des rois francs).

Les rois francs ont imposé leurs coutumes telle la loi salique, mais aussi la règle imposant qu’un royaume doit être partagé entre tous les descendants mâles de celui qui gouverne ; voilà qui contribue à expliquer les nombreux conflits de propriétés et guerres de conquêtes au fil du Moyen-Âge.

La dynastie mérovingienne va prendre sa part dans l’exercice du pouvoir sur cette partie de l’Europe orientale avec Mérovée puis Childéric, Clovis, Clotaire I, Clotaire II et enfin Dagobert ; trop jeunes pour gouverner, les deux fils de Dagobert sont épaulés par un « maire du palais », sorte d’intendant royal aux pouvoirs importants à la façon d’une régence. Le premier à tenir ce rôle d’une façon remarquable et remarquée est Pépin I ; mais c’est son fils, Pépin II, qui perpétuera la charge et inscrira la dynastie carolingienne dans l’histoire de France. Plus tard, maître de palais à son tour, Charles Martel influencera Clotaire IV puis Childéric II. L’histoire du Moyen-Âge continue de se dérouler jusqu’à ce que Pépin le Bref parvienne à se faire couronner roi des francs en 754 dans l’église abbatiale de Saint-Denis, profitant de cette occasion pour faire oindre son fils Charles I par le Pape.

Devenant roi à son tour en 800 et couronné à Rome par le pape, Charles I « le Grand », plus connu sous le nom de Charlemagne, va être à l’origine d’une véritable renaissance politique et culturelle ; on parle aujourd’hui de « Renaissance carolingienne ». Notamment, afin de moderniser la langue mérovingienne (majuscules, pleine de déliés, les mots étant reliés les uns aux autres, peu facilitatrice du travail des moines copistes), il promeut l’écriture caroline grâce à sa simplicité (minuscules, des mots et des phrases séparés, une ponctuation) ; de fait elle s’avère bien plus rapide à lire et à recopier par les scribes. En exerçant ainsi le pouvoir royal en direction des arts et des lettres, de l’érudition et de la création, sans oublier l’administration du territoire appelé la Francie, bien plus unifiée qu’à l’époque mérovingienne, Charlemagne donne ses lettres de noblesse à la dynastie carolingienne en lui conférant son ouverture sur le monde ; son fils Louis le Pieux puis son petits-fils aîné Lothaire 1er hériteront de son « goût pour le beau » et poursuivront son oeuvre. Elle importera ainsi tant l’étrier en fer/argent des Avars, guerriers turcs nomades, que le jeu d’échecs, bel et bien natif d’Orient.

L’architecture chrétienne a conservé les principes romains (plan des basiliques, orientation de l’axe, réunion sous un seul bâtiment des abside choeur nef et baptistère autrefois construits séparément). Elle a également cumulé les styles de différentes époques (romain, mérovingien, carolingien, roman, gothique, renaissance, baroque), au point que certains édifices ayant survécu aux destructions se lisent à la façon d’un livre d’histoire et d’une quasi-géologie de leurs structures et décorums bien souvent appliqués les uns par-dessus les autres au fil des styles architecturaux.

Ainsi l’ancienne église de Saint-Léger à Cravant les Coteaux permet-elle d’embrasser d’un coup quatorze siècles d’histoire. Située au sein du parc naturel régional de Loire- Anjou-Touraine (à 7 km de Chinon), classée Monument Historique depuis 1913, elle est la propriété de l’Association des Amis du Vieux Cravant qui travaille à sa sauvegarde et à son projet de restauration.

Elle témoigne donc de ces strates, malgré leurs altérations dues à leur abandon au fil du temps qui rendent leur lecture difficile : un temple mérovingien du VIIème siècle, sa nef carolingienne du Xème siècle, son choeur roman du XIIème siècle, son transept pré-gothique du XIIIème siècle, sa chapelle dédiée à la Vierge du XVème siècle, quelques reprises contemporaines, tandis que diverses couches de badigeons et de peintures murales se superposent les unes aux autres au fil des styles carolingien, roman, gothique, renaissance, puis baroque.

La toiture à charpente de chêne a été rehaussée afin de réunir les trois bâtiments d’époques (choeur, transept, nef), de constructions, d’alignement et de hauteurs différentes.

Bien que le site de Cravant soit habité depuis le néolithique, comme en témoigne à proximité un grand menhir brisé, c’est un temple mérovingien qui va marquer son histoire, lequel laissera sa place au sanctuaire dédié à la mémoire de Léger, évêque d’Autun (Bourgogne).

Léger est né vers 616 au sein d’une famille franque installée dans la région de Poitiers qui relevait alors de la Burgondie (région centre et est de la « France »). Devenu évêque d’Autun en 663, il résiste aux velléités conquérantes de la Neustrie (région nord) sur laquelle règne Théodoric III, 3ème fils de Clovis (dit aussi Thierry III) ; jusqu’au jour où il doit s’incliner devant le siège militaire de sa ville mené par Ebroïn, maire de palais influent de Théodoric III. Cette résistance lui vaut d’être martyrisé en 676 par celui-ci, qui le fera en outre assassiner deux ans plus tard.

Il ne reste rien de l’édifice mérovingien dont ne témoignent que des cercueils en pierre ainsi que deux piliers décorés de l’ancien caquetoire côté sud, aujourd’hui disparu ; ils sont conservés à l’intérieur de l’édifice.

Dans une église carolingienne, l’accès principal se faisait par une porte latérale, ici décorée par une fine torsade sculptée dans la pierre tout le long de son arc. Il faut attendre la période romane pour que l’accès se fasse par un portail ouvrant sur la perspective longitudinale de la nef en direction est du choeur et de l’autel ; celui de l’église de Cravant sera ainsi donc percé bien après la construction de l’église.

Au Xème siècle est élevée la nef carolingienne, avec sa particularité d’être lambrissée. Son plan est incliné car il suit naturellement la pente du coteau rejoignant le bord de la rivière Saint-Mexme.

Le choeur a été construit au XIIème siècle dans le style roman de l’époque comme en témoignent les arcs-doubleaux et leurs frises supportant des décorations végétales à peine perceptibles. Le badigeon rose est d’époque baroque mais son usure laisse apparaître l’origine romane du chapiteau. Sa voûte construite en « cul de four » laisse encore apparaître des têtes d’ange.

Pendant la période pré-gothique du XIIIème siècle a été construit le transept. Sa partie nord a disparu. On aperçoit au pied gauche du comblement l’un des deux piliers mérovingiens, et sous la voûte en haut à droite un personnage portant une coiffe. Sous la croix à droite, une peinture (XVème siècle) évoque un évêque. En dessous à droite sous l’appareillage apparaissent les pierres de comblement du transept nord.

Le transept sud accueille la chapelle gothique consacrée à la Vierge, érigée au XVème siècle, d’une facture classique. En revanche, cette partie exhibe trois peintures murales intéressantes : l’une à gauche de la fenêtre (représentation d’un évêque pouvant être Léger), la deuxième à droite de la fenêtre (évocation de l’incrédulité de Saint-Thomas touchant du doigt la plaie du Christ sur son flanc nu), et la troisième sous la voûte en arc brisé (présentation par la Vierge, en manteau rouge, de l’enfant Jésus, en tunique jaune, sur la partie gauche de la peinture).

La visite de cet édifice, qui entretient pendant des siècles la dévotion au saint qui s’y attache, s’achève sous la voûte de la croisée du transept sur laquelle apparaît la peinture du martyr de Léger, bénédictin reconnaissable à sa tonsure et à son nimbe : Ebroïn, après lui avoir coupé les lèvres, lui perce les yeux en présence symbolique du roi de Neustrie Theodoric III assis sur son trône.

L’avenir de ce sanctuaire, dégradé mais ayant son histoire, dépend désormais de la pérennité financière de l’Association des Amis du Vieux Cravant.

 

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