C’est au cours de l’année 2022 que le Château de la Droitière m’a accueilli pour photographier son état général à la façon de l’émission télévisée des années 60 « Chefs-d’oeuvre en péril », et d’ainsi contribuer à son fond documentaire. Son histoire a épousé les fortunes diverses de ses propriétaires successifs, il en sera également ainsi de son avenir.
Au 14ème siècle, Jean I de Châteaugiron, seigneur d’Oudon, se marie avec Jeanne de Malestroit, fille du seigneur de Malestroit (diocèse de Vannes). En 1526, leur lointain descendant Jean III de Malestroit est exécuté à Nantes pour avoir fabriqué de la fausse monnaie dans une grotte à flanc de coteau de Loire sur son domaine de la Drouetière (ancien nom de la Droitière, sur la commune de Mauves sur Loire en Loire-Atlantique) ; Drouet était le nom d’un ancien sénéchal d’Oudon. Le domaine change de propriétaires au fil du temps.
Une demeure y est érigée en 1669 par monsieur Barbot, négociant nantais. Il la revendra à monsieur Bazille, également négociant nantais qui commerce avec l’île de Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti), ancienne colonie française prospère cultivant la canne à sucre, le coton, le café et l’indigo ; sa fille Marie en héritera avant de se marier en 1732 avec Louis Thiercelin, officier de la marine royale.
Nantes est alors devenue le premier port de France du commerce triangulaire, bien avant Bordeaux et Le Havre, même si plusieurs expéditions partaient de ses avant-ports comme Paimboeuf (tous les bateaux ne pouvaient remonter la Loire jusqu’à Nantes du fait de leur tirant d’eau trop important). Les bateaux partaient chargés de marchandises destinées à l’acquisition d’esclaves sur les côtes africaines ; le produit de leur vente dans les « îles à sucre » des Antilles, servait alors à acquérir de nouvelles marchandises à destination de la métropole. Ainsi le Saint-Edouard, sous le commandement du capitaine Pierre Rivière de la Brosse, a quitté Nantes le 26 mars 1741 « en droiture » de l’Afrique de l’ouest, chargé d’eau-de-vie, de boucaniers et de métaux afin de les troquer contre des esclaves ; de Saint-Domingue où ceux-ci ont été vendus, le Saint-Edouard est rentré au port de Nantes le 24 juin 1742 chargés de produits exotiques. Nantes n’a pas accueilli de bateaux chargés d’esclaves ; en revanche certains commerçants y sont revenus parfois avec leurs « domestiques » dans les années 1770, dont certains ont pu être affranchis et s’y installer notamment comme « barbiers-perruquiers ».

En 1786, François Guillet de la Brosse achète le château à la famille de sa femme, Marie-Flore Thiercelin. Il fait appel à l’architecte nantais Mathurin Crucy (par exemple Nantes : la place et le théâtre Graslin, le cours Cambronne, Clisson : le domaine de La Garenne Lemot, Rennes : la cathédrale). Il le fait remanier dans un style Louis XVI et y adjoint des colonnes de style ionique en façade principale, fait construire divers communs, et embellit l’ensemble avec une orangerie, un potager et un vaste bassin d’eau à l’est.

L’abolition de l’esclavage en 1831 met fin à la prospérité économique issue du commerce triangulaire. En 1867 le château est vendu à Victor Fleury, agent de change et banquier. Celui-ci fera construire les deux pavillons latéraux et graver, sur le tympan du fronton de la colonnade, son initiale ainsi qu’une symbolique de son appartenance maçonnique.


Victor Fleury avait épousé à Nantes le 09 janvier 1860 Mathilde Verne, l’une des sœurs de Jules Verne. C’est l’année où ce dernier donne son opérette « Monsieur de Chimpanzé » au théâtre des Bouffes-Parisiens dirigé par Jacques Offenbach. Jules Verne vivait alors à Paris : il avait passé sa thèse en droit mais ne reprendra pas la charge d’avoué de son père ; il écrit pour le théâtre, fait à l’occasion la connaissance de Dumas père (métis de Saint-Domingue), et par ailleurs travaille en association avec un agent de change à la Bourse de Paris.
Victor Fleury sympathise avec son beau-frère, sensible à la science, à la nature et à la poésie. Il le consulte pour l’agencement en 1872 des 11 hectares du parc ; de nombreuses essences rares sont plantées (ginkgo biloba, séquoias gigantea ou sempervirens, chicot du Canada, févier d’Amérique, magnolia grandiflora, houx à grandes feuilles, liquidambar, tulipier plaqueminiers de Virginie…), dont un grand cèdre bleu de l’Atlas surnommé « cèdre de Jules Verne ».
Jeanne Fleury, fille de Victor et de Mathilde Verne et épouse d’un négociant nantais Maurice Douault, hérite du domaine en 1920. Le domaine de la Droitière est alors à son apogée.


Les enfants Douault en héritent à leur tour en 1930 mais le vendent à la découpe : les terres sont achetées par des fermiers, le château et son parc sont vendus à un ancien diplomate anglais, Cecil Gosling. Celui-ci rêve d’un élevage haut de gamme de chevaux mais se heurte à l’impossibilité de les faire paître aux alentours ; il tente alors de créer une maison de cure de haut standing, sans plus de succès.
L’épidémie de tuberculose qui sévit à l’époque conduit le préfet à décider sa reconversion en sanatorium pour femmes ; la SARL Le Château de la Droitière en devient gestionnaire en 1936. Plusieurs constructions extérieures sont alors réalisées afin d’héberger aussi bien les patients que les personnels, à cette époque où les routes et les moyens de transport ne sont guère développés dans les campagnes éloignées ; l’orangerie est transformée en chapelle, le bassin d’eau latéral est comblé.
Pendant la seconde guerre mondiale, des stratagèmes déployés par les personnels et les malades évitent à l’établissement sa réquisition par l’armée allemande qui craignait toute contagion.


Le Centre Hospitalier de Nantes achète le sanatorium en 1963 afin d’en faire une maison de convalescence long séjour. De nombreux travaux impactent tant son environnement et sa structure que son apparat d’origine dont il ne reste guère de traces : des fenêtres sont ouvertes dans la toiture, les pièces sont démultipliées en bureaux administratifs, la chapelle est rasée en 1975 ; le fonctionnel prend le pas sur l’esthétique.
Dans les années 90, les 270 patients sont progressivement transférés sur l’hôpital Saint-Jacques dans le centre de Nantes. Abandonné, l’hôpital de la Droitière fermera définitivement ses portes en 2000.





Un porteur de projet immobilier et touristique l’achète en 2005, mais la crise financière de 2008 stoppe son programme de rénovation dont le coût devenait financement insupportable.
Depuis 2014, son propriétaire s’attache à restaurer progressivement les volumes originaux du château. Les traces de cloisons au sol et au plafond, les peintures et carrelages témoignent de ses reconfigurations successives, et ainsi de l’activité qui était la sienne.














En 2018 est créée l’association des Amis du parc et du château de la Droitière, reconnue d’intérêt général. Le parc s’ouvre alors à la visite du public et présente une offre importante d’animations pendant la période estivale. On dit que c’est un descendant d’un personnage cité dans le premier roman de Jules Verne, « Cinq semaines en ballon », qui guide la découverte des lieux.
Les moyens humains et financiers, prioritairement orientés vers la préservation du parc, ont permis de voir ce dernier labellisé « Ensemble arboré remarquable ».


L’association est donataire du parc et du château en 2022. Avec l’aide de nombreux bénévoles passionnés, elle continue de s’activer à l’entretien de l’un et à la restauration de l’autre, repoussant ainsi la perspective d’un péril dans l’attente d’un meilleur avenir après ces 350 ans d’histoire mouvementée.

